cliens


CLIENS. - La clientèle formait à Rome un rapport de protection de la part des patrons, et de dépendance de la part des clients, entre une famille patricienne et des individus de condition inférieure. Il y a lieu de rechercher à ce sujet d'abord l'origine de la clientèle, puis la nature de ses effets, et enfin le développement et la décadence de cette institution.

I. D'après la tradition adoptée par les auteurs anciens, Romulus, lors de la fondation de Rome, avait établi ce système de vassalité, en rattachant un certain nombre de plébéiens par des liens particuliers aux
différentes gentes patriciennes. Mais ce système embrassait-il toute la plèbe, en sorte que celle-ci se confondît complètement avec la masse des clients? La plupart des modernes avaient adopté cette opinion, qui est encore aujourd'hui défendue par d'éminents jurisconsultes et historiens; mais elle a été victorieusement combattue, à notre avis, par Niebuhr. En effet, l'histoire nous montre toujours la plèbe [plebs], à partir de l'institution des comices par centuries [comitia], en lutte perpétuelle avec les patriciens soutenus par leurs clients. Comment donc y aurait-il eu identité absolue entre la plebs et les clientes? II est facile de tout concilier en faisant observer que la race victorieuse qui prit possession de Rome y introduisit sans doute l'ancienne institution de la clientèle, pratiquée dès longtemps chez les divers peuples d'Italie, Sabins, Étrusques, Samnites et Campaniens. Les familles de la tribu primitive (les Ramnes) amenèrent des clients dont le nombre dut être grossi par les étrangers admis à l'asile ou par les affranchis. Quant aux habitants primitifs de l'ager romanus, ils furent d'abord de simples sujets sans droit politique (jus suffragii et honorum), ni connubium. Ce fut le noyau de la plèbe proprement dite, dont un certain nombre de membres purent obtenir leur admission in fidem parmi les clients des patriciens, peut-être au moyen du jus applicationis. On comprend que cette circonstance jointe à l'état d'infériorité des clients originaires, les ait fait confondre, en apparence du moins, avec la masse des plébéiens, par les auteurs qui rapportèrent à Romulus l'honneur d'une organisation consacrée déjà par les coutumes italiennes.

II. Les rapports obligatoires qui liaient les clients aux patrons ressemblaient à ceux qui unissaient les descendants à leurs ascendants, ou du moins les pupilles à leur tuteur : ils impliquaient des devoirs de reconnaissance et de protection sanctionnés par les moeurs et la religion aussi bien que par les lois. En effet, le patron devait à son client assistance en toute occasion, notamment en matière contentieuse, où il devait non seulement lui faire connaître ses droits, mais encore agir pour lui en justice, suivant les rites mystérieux du collège des pontifes. Quant au client, il était tenu de dévouer sa personne au service du patron, et de contribuer par des redevances pécuniaires à la dot de sa fille, au paiement de sa rançon, ou des amendes qu'il aurait encourues, ou enfin de frais des magistratures ou charges publiques. Enfin, un devoir sacré de fidélité réciproque leur défendait de porter accusation ou témoignage, ou de donner son suffrage l'un contre l'autre. La violation de la foi jurée entraînait pour son auteur l'anathème religieux de la sacratio capitis; dévoué aux dieux infernaux, il pouvait, comme le coupable de haute trahison [perduellio], être impunément mis à mort. Les clients comptaient parmi les familiares du patron et dépendaient de sa gens; quelques-uns habitaient même avec lui; la plupart en recevaient des concessions de terres publiques (agri occupatorii), que les patriciens seuls avaient le droit d'occuper, moyennant une autorisation de lEtat et le paiement d'une dîme.
C'est ce que nous apprend Festus, qui fait dériver le mot patres des distributions de parties du sol faites par les patriciens tenuiioribus. Il est permis de voir dans ces concessions l'origine de la convention nommée plus tard PRECARIUM par le droit romain, et qui offre une certaine analogie avec les bénéfices du moyen âge. Remarquons d'ailleurs que celui qui avait ainsi pris possession des agri occupatorii (ager publicus) par lui-même ou par ses clients, n'en avait pas la propriété, et ne pouvait même l'acquérir par usucapio, mais il obtenait un droit de possession indéfini, sauf retrait par l'État et moyennant le paiement d'une dîme. Cette possessio était protégée par les magistrats, peut-être à l'aide des ordonnances appelées interdicta. Le client lui-même ne devait avoir à l'égard du patron qu'une concession purement révocable au moyen de l'interdictum de precario.
Au point de vue du droit sacré et du droit public, voyons quelle était la situation du client. Il est incontestable qu'il participait aux sacra de la gens, et aux charges qu'ils entraînaient. En conséquence, aussi les membres de la gens devaient avoir droit à la succession et à la tutelle du client, au défunt d'héritier sien et d'agnat [heres]. Mais le client était-il lui-même gentilis au point de vue actif? la question est fort controversée entre les savants, et nous préférons la négative, plus conforme à la position inférieure du cliens. Par la même raison, dans les comices aristocratiques et religieux des curies, ceux-ci ne devaient point participer au jus suffragii. Enfin, ils faisaient partie des fantassins de la légion, dont ils composaient la masse, car les centuries de chevaliers appartenaient aux familles les plus riches. L'augmentation du peuple romain par l'adjonction des tribus des Luceres et des Titienses ne changea rien à l'institution de la clientèle déjà pratiquée par les divers peuples de l'Italie; chaque nouvelle gens amena ses clients avec elle dans ses curies et décuries.

III. Mais la constitution nouvelle établie par Servius Tullius atteignit dans son application tous les membres de la nation romaine. Ainsi, la division du peuple en tribus locales embrassa à la fois les patriciens, les clients et les plébéiens n'appartenant à aucune clientèle, et dans l'intérêt desquels surtout s'était opérée la réforme. En effet, un grand nombre de textes postérieurs mettent en saillie la distinction des clientes d'une part et des plebeii de l'autre, placés en dehors de l'influence patricienne
et luttant sans cesse à l'effet de conquérir l'égalité civile et politique avec la classe privilégiée. Quoi qu'il en soit, tous les Romains furent renfermés dans cette division exclusivement topographique et statistique du pays en 30 regiones ou tribus locales, dont quatre pour la ville et vingt-six pour la campagne, et à la tête de chacune desquelles était un curator. Clients et plébéiens s'y trouvaient réunis avec les patriciens; cependant les clients affranchis n'ayant aucune propriété ne figuraient que dans les listes des tribus urbaines, dressées par désignations nominatives. Dans la division par classes et centuries, les clients étaient distribués aussi d'après leur fortune [census]; mais parmi eux, les affranchis ou libertini étaient primitivement exclus du service militaire et des comices par centuries, à raison de leur origine, mais portés pour le paiement d'un impôt de capitation sur la liste des AERARII. Plus tard, les affranchis obtinrent la jouissance des droits politiques, et même du connubium [LIBERTINI].
Le progrès des classes plébéiennes pendant la république tendit à restreindre les avantages, et par cela même l'importance de la clientèle. En effet, le droit et la science des formules cessèrent d'être le secret du collège des pontifes et de la caste patricienne [LEGIS ACTIONES]. D'un autre côté, les plébéiens obtinrent le droit d'occuper aussi les terres publiques, agri occupatorii : dès lors le recrutement de la clientèle par voie d'hommage volontaire dut être moins fréquent", mais il s'opérait toujours par l'affranchissement et par transmission héréditaire, entraînant avec elle les charges indiquées plus haut. La loi des Douze Tables paraît avoir sanctionné le maintien de ces devoirs, en rappelant la peine de la sacratio capitis. Il semble en outre que les lois ou les usages ne permettaient pas à une cliente ou affranchie de se marier dans une autre gens, sans l'autorisation du patron, comme le prouve la récompense accordée par privilège à Fecenia Hispala, c'est-à-dire la gentis enuptio. Quelquefois de nobles étrangers venaient se fixer à Rome, où ils amenaient avec eux, comme Attias Clausus, un nombre considérable du clients, magna clientium comitatus manu. C'est ainsi qu'on avait vu jadis plusieurs gentes de la nation sabine suivre à Rome le roi Tatius, avec leur clientèle. Mais ces exemples devinrent de plus en plus rares lorsque Rome eut étendu sa domination en Italie. D'ailleurs, les plébéiens trouvaient dans la classe des nobles et des riches, et surtout dans leurs tribuns, une protection qui les dispensait de recourir à la vassalité de la clientèle. Avec la formation des provinces romaines s'ouvrit une nouvelle source de clients. Souvent une cité obtenait de son vainqueur un patronage acheté parfois par de coûteux hommages, et qui se transmettait à ses descendants. Les citoyens de la ville ou de la province cliente obtenaient ainsi l'hospitium d'une famille occupant à Rome un rang considérable', et dont le chef remplissait à leur regard le rôle de patron, notamment en défendant ses intérêts devant le sénat, on en accusant un gouverneur odieux [repetundae pecuniae]. Réciproquement, une ville accordait l'hospitium, dans son sein à un protecteur ou ami.
Vers la fin de la république, l'institution de la clientèle subsistait encore, et se prolongea même sous l'empire, mais en s'affaiblissant do plus en plus. Les droits de succession qui dépendaient de l'antique gentilitas étaient tombés en désuétude soit par l'extinction des anciennes familles, soit par l'impossibilité d'en suivre la trace dans les générations successives. Quant aux clients issus d'anciens affranchis, ou admis volontairement comme tels, ils étaient encore assujettis à certains devoirs de respect envers leur patron. Le droit privé en tenait compte, dans une certaine mesure, en refusant l'action de vol [furtum] contre un patron, et probablement toute action déshonorante; en outre, en exigeant comme pour l'affranchi, la permission préalable de conduire le patron en justice. (vocare in jus).
D'un autre côté, les mœurs obligeaient les clients à lui faire cortège, à le saluer dans sa maison, salutatio, à l'accompagner au forum, etc. Souvent de son côté le patron les aidait de ses bons offices, de sa protection dans leurs affaires contentieuses ou criminelles; parfois même il leur concédait un logement gratuit dans une de ses maisons. Du reste, la qualité de client n'était plus depuis longtemps un obstacle à l'investiture des fonctions publiques; mais l'obtention d'une charge curule le libérait ainsi que ses héritiers des devoirs de la clientèle.
On trouve encore sous l'empire quelques mentions des clients soit dans les historiens, soit dans les inscriptions ou les fragments des jurisconsultes.
                                                                                                    G. Humbert.
Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines